Ingénieur en horticulture, Manuel Rucar dirige le cabinet Chlorosphere depuis 2010. Il fut l’un des premiers et reste l’un des seuls « tendanceurs » dans l’univers du jardin. Avec son équipe, il édite notamment un Cahier de Tendances, outil-clé d’anticipation pour les professionnels. Entretien exclusif au sujet des JdC 2024 et des évolutions du secteur.
● Quelles tendances retenez-vous de ces JdC Garden Trends
Manuel Rucar : Cette édition était surtout marquée par les nombreuses propositions d’aménagement extérieur. J’ai notamment observé un retour au bois, avec une certaine diversification, des structures de jardin au mobilier. Le salon a aussi confirmé la vague « écofriendly », avec des innovations intéressantes comme des toiles de paillage en réemploi de cheveux ou des ombrages en natte de coco. Autre tendance forte, les repas d’extérieur haut de gamme étaient à l’honneur, des fours à pizzas premium aux cuisines outdoor entièrement équipées.
● Quid des couleurs ? Quels sont les tons qui s’imposent ?
M.R. : À l’entrée de ces JdC, nous avions scénarisé l’orange, couleur de différenciation forte pour 2024. Elle revient en déco d’intérieur façon vintage 60’s-70’s, et s’invite à l’extérieur. Cette tendance sera toutefois éphémère. Plus durablement, nous observons une percée du beige et de ses dérivés, avec des finitions minérales, comme des marbres et des pierres concassées pour le sol. Stable et intemporelle, cette couleur s’impose dans l’aménagement extérieur, et s’associe bien avec des couleurs pour un côté fun, ou avec des teintes de bois pour un rendu plus design.
● Concernant le marché, quel bilan dressez-vous de cette édition ?
M.R. : Ces JdC ont confirmé que le contexte était difficile. Le secteur est tendu depuis fin 2022, 2023 n’a pas été une bonne année, et la situation ne s’améliore pas en ce Printemps 2024. Les marques avaient de grandes attentes envers la distribution jardin, mais elle est restée timide, moins présente que d’habitude, avec beaucoup moins d’intentions d’achats et de projets pour la prochaine saison. Pendant ce temps, la distribution alimentaire et la distribution bricolage étaient au rendez-vous avec de vraies stratégies pour le jardin. Cela explique le glissement de fournisseurs calibrés pour les jardineries, qui se redimensionnent pour les GSB. Ces dernières ont toujours été leaders sur le jardin, mais continuent de s’imposer, même sur des produits annexes jusque-là cœurs de cible des jardineries.
● Toutes les jardineries sont-elles en difficultés ?
M.R. : Les indépendantes s’en sortent généralement mieux, quelle que soit leur taille. Elles peuvent être plus réactives et adapter leur offre et leur communication pour suivre les évolutions du marché et des attentes des clients. Les jardineries sous enseigne sont plus en difficultés, plombées par des lourdeurs. En plus des stocks traînés depuis 2021-2022, les réseaux ne parviennent pas à évoluer avec fluidité pour recapter les consommateurs dans un contexte où leurs produits ne sont plus assez compétitifs. La distribution spécialisée du jardin ne s’adresse pas assez aux jeunes générations et aux jeunes ménages ; ses arguments et ses discours doivent évoluer.
● En quoi cette nouvelle génération change-t-elle la donne ?
M.R. : En 2025, les Millenials représenteront plus de 50 % des consommateurs actifs. Ces moins de 46 ans font plus attention à ce qu’ils achètent, et s’intéressent davantage à la nature et au jardin. C’est un levier intéressant pour le secteur, à condition d’arriver à les cibler et les attirer. Entre stocks importants, évolutions de prix et nouvelle génération de consommateurs, il est nécessaire de repenser les choses, de revoir le modèle. 2024 est un année choc pour les jardineries, qui doivent acter une remise à zéro, et arrêter d’attendre que la situation s’améliore. C’est triste de voir que beaucoup de jardineries en fin de vie ne sont pas transmises…
● Que doivent faire les jardineries pour redevenir attractives ?
M.R. : Difficile de répondre aujourd’hui, et en quelques mots, à cette question ; mais je suis ravi de vous annoncer que nous avons initié un échange sur le sujet avec une cinquantaine de professionnels, fabricants, enseignes, experts et prestataires de la distribution spécialisée jardin. Nous écrivons un manifeste pour tenter de faire repartir les choses, pour que les jardineries renforcent leur place sur le marché. L’idée est d’imaginer la jardinerie idéale, adaptée aux exigences des clients d’aujourd’hui et de demain. Nul doute que le sourcing et le recyclage feront partie des sujets phares. Les résultats de cette consultation seront dévoilé sur le Salon du Végétal, du 10 au 12 septembre à Angers, où nous exposerons une maquette de la jardinerie de demain. C’est encourageant de voir que les différents acteurs du secteur sont très réceptifs à ce travail, car une réflexion de filière est nécessaire. ∎