L’avènement de l’IA générative a précipité l’intelligence artificielle au cœur de toutes les stratégies. Les différents intervenants des Inohadays, consacrés à cette thématique, ont mis en avant l’importance de travailler en filière, pour nourrir toute cette connaissance. Reste que la data devient un véritable actif pour une entreprise, avec de plus en plus une valeur financière.
« L’IA est dans toutes les conversations… Menace ? Opportunité ? », interroge Jean-Luc Guéry, président d’Inoha en ouvrant le 30 mai dernier, les Inohadays, placés sous les auspices de « l’intelligence artificielle au service de la filière ». « Nous devons nous y intéresser pour voir comment nos PME pourront embarquer l’IA dans leur stratégie, pour accélérer le business et créer de la valeur supplémentaire. »
La revanche des cols bleus
« Commencez petit en essayant de cibler vraiment la productivité, avec des cas d’usage que vous pouvez tester de manière très pragmatique », souligne Alexandre Viros, ancien président de The Adecco Group Face, président de l’association Dialogues et grand témoin de cette journée de conférences. Communication, formation, comptes-rendus de réunion, simplification administrative, assistance dans la relation client, enrichissement des scénarios produits, etc., les exemples sont déjà nombreux. Pour Alexandre Viros, il est nécessaire de raisonner en termes de tâches et non plus d’emplois. « Il faut réfléchir de moins en moins en termes de métier mais de compétences », confirme Paul Courtaud, CEO de Neobrain.
Selon les postes, des tâches peuvent en effet être plus ou moins remplacées par l’IA qui peut aussi redonner du sens à certaines compétences. « Cette révolution de l’IA est perturbante car quelque part, c’est la revanche des cols bleus sur les cols blancs. C’est la première fois, depuis les moines copistes, que la technologie va complètement disrupter les métiers des cols blancs », poursuit Alexandre Viros. Ce qui devrait inciter les organisations à opter pour un management beaucoup plus attentif « avec un manager coach qui accompagne, connaît ses équipes. Ce n’est pas la bienveillance bisounours, c’est simplement prendre conscience de son capital humain. »
Dans sa MasterClass, Francois Pumir, entrepreneur de l’innovation et vice-président de l’Innovation Factory, rappelle que derrière l’humain ou le collaborateur augmenté, se profile l’entreprise augmentée, une quête de longue date. « On baigne dans cet univers du super homme, déjà avec Frankenstein qui, finalement était un humain qui nous échappait, comme certains trouvent que l’intelligence artificielle risque de nous échapper. Fort heureusement, on maîtrise un peu plus l’IA que ce personnage-là. »
Ne pas appauvrir la data
Qui dit intelligence artificielle, dit data, laquelle vient nourrir, enrichir la connaissance. « La vraie question, c’est la taille des bases de données que nous avons et la qualité des données. Si vous n’avez pas cette démarche de mettre la data en commun, vous appauvrissez votre data et ensuite vous avez un algorithme qui fonctionne moins bien », prévient Alexandre Viros. « Ça suppose de travailler ensemble, fournisseur et distributeur. Si vous cloisonnez votre data, en fait, c’est le syndrome de Monaco : vous êtes très riche sur une toute petite île… »
Pour l’heure, les distributeurs sont engagés dans la démarche IA plutôt en solo, en mode découverte aussi, s’axant prioritairement sur l’amélioration de leurs process internes et la relation client. Chez Saint-Gobain, cette démarche rejoint aussi les enjeux de la durabilité, à travers la capacité à recueillir des éléments pour mesurer l’empreinte carbone. Une gouvernance de la data a été mise en place, sous forme d’un département multifonctionnel, qui a créé une approche méthodologique destinée à embarquer tous les collaborateurs du groupe, sur le plan mondial. Pour le groupe, la data devient un véritable actif, avec un impact tant financier que carbone. « C’est la capacité à avoir des assets de datas pour pouvoir exposer cette valeur, que ce soit dans les algorithmes, ou dans la vente de données », explique Benoit Lepetit, Chief Data & Analytics Officer Saint-Gobain.
La relation client à l’ère de l’IA
La mise en place de l’IA générative trouve déjà chez les uns et les autres des débouchés bien concrets pour accroître la performance. « La première chose a été de comprendre comment, dans un métier de négoce, qui est un métier humain, on est capable de mieux connecter nos vendeurs sur le terrain avec nos clients », poursuit Benoit Lepetit. « Cela passe par exemple par une identification des comportements des clients de façon à être proactifs dans la démarche commerciale ou encore par la capacité à venir tarifer automatiquement au plus juste les 1,5 million d’articles de la base en France et venir aider le vendeur dans sa négociation. » L’accompagnement IA intervient également au niveau de la rationalisation de l’offre, du plan de vente et même sur l’implantation d’un magasin, spécialisé ou pas.
Chez ManoMano, les équipes datas représentent 60 personnes, dont une quinzaine spécialisée dans l’IA. « Avec 16 millions de références, le besoin d’automatisation est important. Comme ManoMano est une marketplace, nos clients sont nos utilisateurs, mais aussi nos vendeurs. Nous essayons ainsi d’automatiser et d’améliorer nos moteurs de recherche et de développer des moteurs de recommandation pour mieux d’aider les utilisateurs dans leur parcours, que ce soit pour leur achat principal, ou pour des besoins de cross sell, pour enrichir un achat de base », explique Armelle Patault, VP Data. En ce qui concerne les vendeurs, des outils d’aide à la décision sont développés, comme le repricing pour générer de meilleures ventes ou l’aide à la gestion de leur stock, en fournissant des prévisions de vente pour chacun de leurs produits. « On est vraiment partout sur notre chaîne de valeur, avec des outils pour l’utilisateur et pour le vendeur. »
Romain Roulleau, directeur Digital, Marketing et Client Castorama rappelle que, dans le bricolage, au moins 80 % des ventes passent par le canal physique, les achats requérant souvent du conseil. Dans une logique omnicanale, le digital a donc plutôt été travaillé d’abord sur une logique marketing, avec par exemple en 2020 le lancement d’un moteur de recherche visuel qui permet aux clients de charger une image pour trouver un produit, dont ils ignorent le nom. « Nous avons presque trois fois plus de conversions par rapport à une recherche texte. Avec l’avènement de l’IA générative, la réflexion a porté sur la façon de retranscrire la capacité qu’ont nos vendeurs en magasin d’interagir et de répondre à des questions parfois compliquées, ce que ne permet pas un site, même excellent. » D’où la création de l’agent conversationnel Hello Casto, testé d’abord en interne, puis lancé en février 2024 sur les différentes catégories de produits. « Dans un 2e temps, lorsqu’on s’axera sur les verticales produits, on regardera comment travailler avec les fournisseurs, car on devra travailler aussi sur la pertinence et la précision. Plus le contenu est riche, plus la conversion sera élevée. »
Taxer la donnée
Si le distributeur et l’industriel apparaissent comme les deux parties prenantes pour construire un contenu de plus plus plus complet, riche et diversifié, le temps d’une collaboration d’échanges de datas, ne nécessitant pas de multiples matrices, ne semble pas encore venu même si Romain Roulleau annonce, pour Castorama et Brico Dépôt, la construction d’une offre qui permettra « à l’ensemble des industriels de pouvoir accéder de manière assez simplifiée à des reportings plus ou moins complexes, en fonction des données, avec une partie qui concernera les courants d’affaires. Ces datas seront donc accessibles de manière plus simplifiée que le fichier Excel. »
Pour les distributeurs, l’impact de l’accélération de l’IA dans leur stratégie va de toute façon dans le sens des fournisseurs. « Nous pouvons prédire que les ventes sont zéro sur un produit, ça aide donc le fournisseur à avoir des informations sur ses produits et à savoir lesquels il faut arrêter et sur lesquels il doit accélérer. Et lorsqu’on optimise l’expérience utilisateur via des moteurs de recherche, on stimule les ventes du catalogue du fournisseur » estime Armelle Patault.
Pour embarquer tout le monde, la motivation semble bel et bien d’abord économique. « Nous avons créé une market place sur laquelle on ne vend pas de produits mais sur laquelle on échange de la donnée. L’ensemble des collaborateurs disposent de toutes les informations dont ils ont besoin au moment où ils les recherchent. La deuxième étape est de créer des services supplémentaires et de réfléchir à comment les mettre à disposition de l’extérieur. Il s’agit donc d’offrir des solutions permettant à nos fournisseurs de s’intégrer dans cette démarche, tout en respectant des degrés de confidentialité », explique Benoit Lepetit. « L’objectif est de se donner les moyens de répondre à cette question qui est extrêmement structurante, c’est-à-dire comment, au sein d’un écosystème, on arrive à partager de l’information. Ce qui ne veut pas dire que ce sera gratuit. » Autrement dit, pour rendre attractive la mise à disposition de données, il est nécessaire de taxer la donnée. « Le principe est simple, si je fournis de la donnée, il est normal que ma consommation de données soit plus attractive. »
Selon les données Inoha/FMB, les grandes surfaces de bricolage ont réalisé en 2023 un chiffre d’affaires de 24 Md €, en baisse de 1,4 % sur un an. La part des ventes en ligne s’élève à 5,3 %.
En 2023, l’évolution des rayons est contrastée par rapport à 2022 :
● Outillage : – 3%
● Quincaillerie : + 0,1 %
● Plomberie, salle-de-bains, cuisine : + 0,7 %
● Chauffage : – 8,3 %
● Électricité :- 2,0 %
● Bois et menuiserie : – 1,6 %
● Bâtiment : – 1,0 %
● Peinture, droguerie, colles : + 2,3 %
● Revêtements : + 0,1 %
● Décoration : – 4,1%
● Jardin : – 3,9 %
Tous sont en progression vs. 2019, sauf la décoration.