L’étude Styles vs Ambiances, orchestrée par l’IPEA, permet de comprendre comment peu à peu le meuble s’efface pour donner le style d’une pièce. Le constat est toutefois encourageant : si le consommateur veut de moins en moins s’encombrer, il a envie de styles plus affirmés, qui contribueront à donner une certaine ambiance à sa pièce.
Par Agnès Richard
Le meuble a perdu de son influence en France, dès qu’il s’agit d’aménager un séjour-salon, alors que dans d’autres pays d’Europe, il reste prédominant pour donner le style de la pièce. « Pourquoi ? De plus en plus, l’industriel designe un produit de meuble alors que le distributeur conçoit des ambiances de façon à acheter chaque composant moins cher. En créant une ambiance, il crée de la valeur et est moins dépendant de chaque fournisseur », explique Christophe Gazel, directeur de l’IPEA. Basé sur une enquête menée en mars 2025 par l’IPEA, le colloque Styles vs Ambiances, qui a eu lieu le 18 juin dernier, vise ainsi à enrayer la spirale de dégradation de valeur sur le marché. « La fonction permet de recréer de la valeur, mais le style est une autre possibilité. »
Pas les mêmes mots
Les malentendus semblent nombreux, entre fabricants et distributeurs, mais aussi avec le client final. Tout d’abord, le vocabulaire du consommateur et celui du professionnel n’est pas le même. On parle au premier de styles Charme/Romantique, Nature/Scandinave ou Chic/Art Déco, il raisonne classique, voire moderne, sans distinction avec le Contemporain/Design. « Quand un consommateur est perdu dans la maison, son réflexe est automatique : désimplication budgétaire. Donc si on veut créer de la valeur, il faut expliquer les choses un peu mieux. »
De même, plus de 25 % des consommateurs ne reconnaissent pas leur séjour ni leur chambre à coucher dans les planches de style « pur » qu’on leur présente. « Les plus âgés achètent des meubles, ils en enlèvent, ils en ajoutent… Leur intérieur n’est pas une blanche tendance. C’est la vraie vie. Par conséquent, face à une ambiance cohérente, le senior a du mal à se retrouver, sauf s’il est resté totalement dans l’ambiance rustique des années 80. »
Le poids de l’héritage
Pour chacune des pièces, salon-séjour ou chambre, la raison principale présidant au choix du style choisi est l’esthétisme, particulièrement dans le salon-séjour, devant le confort. « Dans la chambre, l’implication stylistique est moins forte car pour le moment, on est surtout dans une implication fonctionnelle. » Cette enquête montre aussi que le poids des meubles hérités (38,5 % des foyers en possèdent) est important dans l’aménagement de la maison, notamment pour les seniors, même s’ils s’en débarrassent aussi. Pour plus de 30 % des foyers, toute génération confondue, ces meubles hérités sont une aide pour démarrer l’ambiance d’une pièce et pour plus de 40 %, ils ont une influence sur leurs achats de meubles et de décoration. « Des idées sont à trouver pour que le consommateur puisse ajouter, dans les configurateurs par exemple, un produit auquel il tient pour l’aider à voir comment s’organisent autour les autres produits puisque c’est sa vraie vie. » Ce poids de l’héritage joue plus dans le séjour que dans la chambre, où l’armoire normande compose mal avec les contraintes d’espace et de hauteurs sous plafond.
L’architecture est un autre élément-clé. Dans le séjour, la baie vitrée et la cuisine ouverte, notamment avec ilot central, représentent une contrainte matérielle évidente. Il est difficile d’adosser un meuble sur une baie vitrée, qui s’annonce pourtant de plus en plus présente dans les habitats.
Le canapé trône
Un produit prend le pas sur le style du salon-séjour : le canapé. Chez les moins de 39 ans, le rembourré prend même une place croissante. Dans la chambre, le lit garde sa superbe pour définir le style d’une pièce. Et Christophe Gazel de rappeler les calculs faits à l’IPEA concernant le volume capacitaire d’un coffre de lit et d’une armoire lingère : « Le lit-coffre le plus vendu aujourd’hui en France offre un volume de rangement 30 à 40 % supérieur à l’armoire lingère. On comprend mieux la croissance des ventes de lits-coffre qui atteignent 200 000 pièces chaque année. Dans le salon, c’est un peu la même chose puisque le canapé-coffre se développe et vient prendre une partie du meublant. Ce sont des changements intéressants à suivre ».
Côté coloris, les choix marquent une volonté de clarté dans la maison, les canapés de couleur claire tendant à se renforcer, du fait de surfaces de logements construits de plus en plus petites.
Le Charme/Romantique séduit
S’ils devaient changer de style, les consommateurs opteraient dans l’idéal, surtout dans les open-spaces et les pièces avec baies vitrées, pour du Contemporain/Design ou du Nature/Scandinave. Le Charme/Romantique a également la cote, suivi par l’Industriel, l’Ornemental/Oriental et le Campagne/Rustique. « Regardez le poids, à plus de 50 %, des 20-39 ans sur le Campagne provençal… N’oubliez jamais que dans l’histoire du marché du meuble en France, plus le monde est dur à l’extérieur, plus le consommateur a besoin de réassurance à l’intérieur », souligne Christophe Gazel. « Le consommateur réclame donc du style, y compris dans la chambre, alors que ces dernières années, on lui a vendu un produit très neutre. On voit que même dans l’univers de la cuisine, ils redemandent du cadre et des moulures. Si les industriels ont tiré parti de la porte plate ces dernières années, ils vont devoir redonner de l’épaisseur au produit. »
Pour le directeur de l’IPEA, ce retour au Charme/Romantique est très encourageant. « Quand on combine valeur d’usage et style, on peut recréer de la valeur sur le marché. L’enjeu, d’ici aux élections présidentielles, est d’inciter le consommateur à sortir sa carte bancaire et lui donner envie d’acheter du meuble plutôt que de partir en voyage. » Face, en outre, à un consommateur qui encombre moins son intérieur, comment réorganiser ce marché qui a toujours été dirigé sur plus de volume que de valeur ? Dans une logique de volumes en baisse, les acteurs du marché vont visiblement devoir prendre des partis-pris. « Le parti-pris s’adresse à une cible précise et pas aux autres cibles. La démultiplication des éléments de communication devient très important. »
Le magasin, source d’inspiration
D’où vient l’inspiration des consommateurs pour créer le style de leur logement ? Force est de constater que près de la moitié se sont débrouillés par eux-mêmes. Néanmoins, un bon tiers déclarent que le magasin est leur première source d’inspiration. « Les sources d’inspiration restent très traditionnelles. On va voir ce qui se fait, ce qui se vend et puis on s’en inspire pour créer le style de chez soi », observe Stéphane Larue, directeur des Etudes de l’IPEA. En revanche, les réseaux sociaux et internet arrivent parmi les sources les moins utilisées. « Le consommateur, en ce qui concerne le meuble et la déco, a énormément de mal à se projeter. C’est donc beaucoup plus simple pour lui d’aller voir ce qui se fait en magasin plutôt que de regarder en ligne. »
Les cinq enseignes les plus consultées sont Ikea, But Conforama, Maisons du Monde et Leroy Merlin. En revanche, d’autres enseignes sont également citées, notamment des discounters comme Centrakor et Action, ainsi qu’Amazon.
En ce qui concerne les magazines de décoration, le catalogue papier d’Ikea, qui a disparu en 2021, figure pourtant dans la liste. Devenu numérique, il constitue toujours une source d’inspiration pour le consommateur, qui le range dans la catégorie presse.
Des enseignes plus inspirantes que d’autres
En revanche, les enseignes consultées ne sont pas toujours les plus inspirantes. « Les enseignes chez qui le consommateur cherche de l’inspiration ne sont pas forcément celles qu’il a consultées quand il est entré dans une démarche plus pragmatique d’aller choisir du meuble pour créer le style de son logement. » Le maillage du territoire en termes de points de vente intervient évidemment, facilitant les déplacements. « C’est une des raisons sans doute pour lesquelles on retrouve des enseignes qui ont des maillages importants comme Conforama, Leroy Merlin et But qui sont autant inspirantes qu’elles ont été consultées. Le consommateur a pu s’y rendre quand il est passé dans cette démarche de mise en place du style dans son logement. » Ce n’est pas le cas pour Alinéa ou Roche-Bobois, inspirantes, mais plus rarement consultées.
Amazon, que l’on retrouve de plus en plus souvent quand on parle d’aménagement de la maison, fait partie des distributeurs qui attirent fortement les populations les plus jeunes, comme Ikea et Maisons du Monde alors que des enseignes comme Conforama ou But sont plutôt une source d’inspiration chez les ménages les plus âgés. Faut-il pour autant en déduire qu’en avançant en âge, on change de sources d’inspiration en basculant d’une enseigne à l’autre ? « Les ménages les plus jeunes qui partent de zéro vont plutôt se diriger vers Ikea ou Maisons du Monde alors que les ménages déjà installés, qui cherchent plus à compléter leur logement en associant avec l’existant vont peut-être plus se diriger vers des enseignes comme Conforama et But », répond Stéphane Larue. En fait, le choix d’une enseigne dépend aussi des styles. Certaines, comme Maisons du Monde, ressortent immédiatement à l’évocation des styles Voyage, Ornemental-Oriental ou Charme romantique tandis que d’autres apparaissent moins spontanément dans l’esprit du consommateur.
Reprendre la main sur la décoration
Surtout, comme le rappelle Christophe Gazel, le poids de la décoration est un des enjeux du métier du meuble, puisque les discounters de la maison captent désormais une partie de ce marché. « Si ce sont les discounters qui donnent le La et que le meuble est issu de cette tendance, on est mal parti, compte tenu de la puissance d’Action et surtout d’Amazon en France. » L’objet de décoration définit effectivement le style chez 40 % des consommateurs, derrière le meuble à 60 %. « Si ce ne sont pas les acteurs canal historique du secteur qui vendent la décoration, comment va-t-on réussir à créer l’ambiance, avec tout ce qui vient en complément d’un style, par exemple la recherche de matériaux et d’effets matière ? »
Dans une logique de style, le mobilier garde donc la main, la notion d’ambiance représentant plus un esprit global ou la décoration joue son rôle. « L’intérêt du consommateur pour des styles particuliers ne correspond pas pour l’instant pas à l’ambiance qu’il a chez lui. Cela donne des pistes de construction de présentation d’offres produits et de box de mise en scène pour inspirer le consommateur. »
C’est d’autant plus important, que l’ambiance de la pièce reste plus importante que le style du meuble, avec toutefois un certain équilibre entre les deux concepts chez les plus jeunes. Sur le plan global, l’ensemble mobilier et décoration continue à évoquer largement la notion de style d’une pièce, pour 60,8 % des répondants. « Rappelons-nous que dans les années 80, le mobilier déco se situait à 99 %… Redonnons donc un peu de place au meuble dans l’espace de vie du consommateur. »