Les chiffres de 2022 ne suscitent pas d’euphorie chez Procos, la fédération du commerce spécialisé, même si, pendant toute l’année, les points de vente sont restés ouverts en permanence, contrastant avec la situation de 2020 et 2021. Si, en moyenne, les magasins affichent, sur un an, une croissance de 14,7 %, cette dernière est d’autant plus forte que les secteurs ont été contraints par des fermetures en 2021, comme la chaussure ou l’habillement. En revanche, l’équipement de la maison, qui a moins été pénalisé que d’autres univers, se contente d’un petit + 2 %. Par rapport à 2019, le chiffre d’affaires moyen des enseignes du commerce spécialisé gagne 1,3 %, l’équipement de la maison étant en hausse de 5,5 %.
Par Agnès Richard
Cette évolution positive pourrait bien n’être qu’apparence, si l’on tient compte de la hausse des prix consommateur, de l’ordre de 3 à 5 %, survenue en 2022. De leur côté, les ventes en ligne des enseignes baissent en moyenne de 12 % sur un an (après une hausse de 60 % entre 2020 et 2021), celles de l’univers de l‘équipement de la maison limitant le retrait à – 8,2 %, avec de fortes contractions sur l’électroménager qui avait bénéficié d’un engouement pendant la période Covid, le bricolage se situant, lui, à – 1 % tandis que le meuble est en positif à + 1,7 %. Par rapport à 2019, les ventes web du bricolage ont gagné 16 % et celles du meuble, 10 %.
Si l’année 2023 semble avoir débuté sous de meilleurs auspices, en témoigne une croissance de 11,5 %, tout secteur confondu par rapport à janvier 2022, cette évolution profite, là encore, d’un effet de base favorable (-11,7 % en janvier 2022 par rapport à janvier 2019). » Cette croissance des ventes en 2023 ne fait que compenser les mauvais chiffres de janvier 2022, mais sans tenir compte des hausses de prix intervenues en 2022 « rappelle Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos. Dans ce contexte, » l’équipement de la maison réalise un mois médiocre à + 4,2 %, par rapport à 2022, ce qui signifie des baisses importantes de volumes vendus. « Par ailleurs, l’équipement de la maison est le seul secteur du commerce spécialisé à voir ses ventes en ligne chuter (-13,2 %).
Un modèle à transformer
La période de soldes n’a donc pas profité à cet univers. Même s’ils se sont révélés meilleurs que l’an dernier, les soldes n’ont, de toute façon, pas retrouvé les niveaux de 2019. » Le grand soir des soldes n’arrivera plus jamais « estime Emmanuel Le Roch. D’une part, une partie des commerçants a réduit ses stocks et a donc moins de produits démarqués à proposer, d’autre part, les promotions commencent désormais dès le Black Friday. » Le modèle du commerce est en train de se transformer. «
D’ailleurs, si les consommateurs sont revenus dans les points de vente en 2022, la fréquentation n’a pas retrouvé son niveau de 2019 (+ 0,3 % vs 2021, – 19,6 % vs 2019). » Notre hypothèse est que l’on ne retrouvera pas les niveaux de fréquentation antérieurs. Mais quand les clients viennent, ils achètent. « Les consommateurs viennent sans doute moins flâner ou en famille dans les magasins, ce qui contribue à faire baisser les chiffres de fréquentation, mais en revanche le taux de transformation augmente. » Mais c’est aussi moins d’opportunités de développer le panier moyen par l’achat d’impulsion… « Les fondamentaux du commerce reprennent alors toute leur importance. » Le conseil et la motivation des équipes deviennent encore plus essentiels pour garder ce client, de même que les stocks. Si le produit n’est pas là, il faut lui trouver une solution « indique Laurence Paganini, présidente de Procos. D’où l’importance des stratégies de cross-canalité pour pallier d’éventuelles ruptures.
Trésoreries dégradées
Augmentations des coûts de l’énergie, des loyers, des approvisionnements notamment ceux payés en dollar, des coûts salariaux pour retenir les collaborateurs dans un contexte de difficultés de recrutement…, autant de hausses qu’il est impensable de répercuter totalement dans les prix alors que le consommateur est lui-même confronté à un pouvoir d’achat en berne.
» Dans une telle situation, difficile de vendre plus ou d’augmenter suffisamment les prix, donc le volume de marge diminue. Dans des activités à faible marge telles que le commerce de détail, la trésorerie et le résultat des entreprises sont immédiatement impactés. La capacité de résilience de chaque enseigne dépend du niveau de cash et donc de la capacité pour investir et se transformer. A noter que les entreprises du luxe, du discount et à forte image prix sont dans des situations plus favorables. Les premières parce que le consommateur est moins sensible au prix, les deux suivantes parce qu’en période de forte inflation et d’inquiétude pour le pouvoir d’achat, les consommateurs privilégient le prix pour reconstituer du pouvoir d’achat « poursuit Laurence Paganini.
Ces augmentations interviennent, de surcroit, alors que certaines enseignes doivent rembourser leur PGE et que le commerce doit se transformer pour répondre aux exigences réglementaires, comme la loi Agec ou l’obligation d’investir pour réduire les consommations d’énergie (décret tertiaire…). » Il faut enfin se rendre compte qu’une enseigne n’est qu’une consolidation de dizaines ou de centaines de points de vente qui sont de petites exploitations avec des niveaux de marge et de rentabilité faibles. Dans le commerce de détail, il n’y a pas que les TPE qui sont fragilisées. Avec les difficultés récentes d‘enseignes souhaitons que la prise de conscience sera maintenant totale « insiste Emmanuel Le Roch. » Jamais la mise en place d’une politique publique du commerce n’a été aussi urgente et impérative. Il n’est plus possible d’attendre. Il faut à la fois stopper l’hémorragie, éviter une décommercialisation suite à la multiplication de fermetures de points de vente, les défaillances de réseaux et la vacance commerciale. «