Près de 6 mois après la rupture de sa longue coopération avec Liebherr, Eberhardt se reconstruit progressivement. Dans un échange exclusif, où il nous révèle sa vision du marché, Franck Pellé nous rappelle les valeurs et la philosophie de la société alsacienne, mais aussi la force de ses marques haut de gamme qui regroupent de nombreux points communs.
> Article extrait du magazine Univers Habitat n°53 (Été 2024). Cliquez ici pour le lire gratuitement.
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- Pouvez-vous rappeler l’actualité majeure de l’année 2023 pour Eberhardt ?
Franck Pellé : La grande actualité qui a marqué l’année 2023 est, sans conteste, la fin de notre accord contractuel que nous menions depuis 70 ans avec Liebherr. En dehors de l’aspect financier, celle-ci a surtout eu un impact psychologique. Parce que nous représentons une entreprise familiale, nous sommes parvenus à limiter au mieux les conséquences sociales. L’entreprise étant née en 1912, nous avons déjà une longue histoire derrière nous. Notre savoir-faire et notre philosophie du commerce sont donc restés inchangés. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons offert un véritable accompagnement à ceux qui ont rejoint Liebherr, ceux qui ont entrepris un projet personnel, et ceux qui sont restés avec nous, en changeant parfois de position. Et durant cette épreuve difficile, qui nous a notamment fait prendre conscience de nos valeurs, nous tenons à souligner la fidélité que nous avons eu de la part de nos fournisseurs, de nos clients, et des équipes restantes. Finalement, on peut dire que l’année 2023 a correspondu à une période de « rénovation », qui consistait, de façon imagée, à ne garder que les poutres de notre maison alsacienne, pour entreprendre, désormais, une vraie reconstruction.
- Qu’en est-il de 2024 et des années à venir ?
F.P. : Pour Eberhardt, le 1er janvier 2024 est une date que nous ne sommes pas prêts d’oublier. Après avoir passé un an et demi à « déconstruire » progressivement notre entreprise, nous pouvions enfin repartir sur de nouvelles bases, tout en gardant notre esprit d’entrepreneur à tous les niveaux. Aujourd’hui, je peux vous dire que la maison alsacienne a tenu bon. Nous sommes extrêmement fiers d’avoir résisté à ce tsunami. Mais pour être transparent, certains clients ont pu se sentir moins suivis en 2023. La priorité a donc été, dès le début d’année 2024, de regagner leur confiance.
Aujourd’hui, nous pourrions comparer Eberhardt à une start-up, mais avec une histoire. Ce qui représente un inconvénient, celui de reformater chaque personne dans l’entreprise, et un avantage, celui de n’être accompagnés que de salariés pleins d’énergie et de confiance. Les futures étapes seront alors de montrer à nos fournisseurs que l’année 2023 n’était qu’un accident, comme il en arrive dans toutes les entreprises. Nous n’avons aucunement perdu notre histoire, ni notre philosophie.
« L’année 2023 a correspondu à une période de « rénovation », qui consistait, de façon imagée, à ne garder que les poutres de notre maison alsacienne, pour entreprendre, désormais, une vraie reconstruction », Franck Pellé, Eberhardt
- Quelles sont, aujourd’hui, les forces de chacune des marques Asko, Falmec et Gessi sur le marché français ?
F.P. : Chaque marque distribuée par Eberhardt – Asko, Falmec et Gessi – bénéficie de points communs constitutifs d’une vraie force sur le marché français. Pour rappel, Asko est spécialisée dans le froid, le lavage et la cuisson, Falmec dans l’aspiration et Gessi dans les mitigeurs.
Dans un premier temps, il s’agit de produits haut de gamme, avec un stock disponible et une politique commerciale orientée vers les professionnels de l’électroménager et les cuisinistes. Leur cohérence de positionnement, puisqu’elles se situent toutes sur le 3e et le 4e quartile, représente un gage de qualité. Enfin, elles ont la capacité, ensemble, de pouvoir équiper toute une cuisine, hors bois, grâce à leur partage des segments suivants : froid, lavage, cuisson, point d’eau. En les regardant séparément, chacune possède des forces qui peuvent être différentes quant à l’innovation et la communication. Mais elles finissent toujours par se retrouver, dans la manière de penser à moyen et long terme. Elles ne recherchent en aucun cas le profit à court terme et sont donc toutes prêtes à investir en ce sens. Ce qui leur permet une grande pérennité quant à leur vision de la politique commerciale à appliquer dans chaque pays.
- Pour ces marques, quelles stratégies souhaitez-vous entreprendre dans les années à venir ?
F.P. : À un moment où la plupart des grands groupes allègent fortement leur force de vente pour des raisons de coûts, et malgré la baisse de notre chiffre d’affaires après le départ de Liebherr, nous avons gardé l’option de « pousser la porte des magasins ». Cette stratégie permet de répondre aux besoins concrets des vendeurs en termes de compétences, pour la montée en gamme, et de connaissance des produits. Aussi, le choix des réseaux de distribution est crucial. Pour nous, ils ne peuvent que représenter des professionnels dans tous les sens du terme. Non seulement ils couvrent l’électroménager et la cuisine, mais aussi doivent disposer de savoir-faire avant la vente, pendant la vente, après la vente et à l’installation. Avec la reconstruction progressive de nos ressources, nous communiquerons davantage sur chacune de ces marques, de façon à améliorer leur notoriété auprès du consommateur. Nos produits sont déjà connus des distributeurs, mais il convient évidemment de se rapprocher de l’utilisateur final afin de lui donner envie de les acheter via les distributeurs.
- Plus largement, quelle est votre vision du marché dans ce contexte particulièrement tendu ?
F.P. : Contrairement à l’année dernière, le marché est actuellement déflationniste. La plupart des positionnements adoptés dans notre métier redeviennent ceux de 2019. Mais entre les deux, les charges salariales ainsi que les factures d’énergie ont fortement augmenté. Même si les matières premières sont, pour la plupart, redescendues à un prix d’avant covid, ces deux coûts pèsent sur la marge des fabricants qui ont dû redevenir plus attractifs en termes de positionnement. De plus, la difficulté d’accéder à la propriété, en raison des taux élevés des crédits, de la frilosité des banques et du blocage des permis de construire rend les choses plus complexes. Le marché de l’électroménager grand public est aujourd’hui inférieur à ce qu’il était en 2019. Les distributeurs, qui ont su mettre en trésorerie les années Covid très porteuses (et en demande d’électroménager), résistent. Mais ceux qui se sont endettés ou ont sorti l’argent de la trésorerie de l’entreprise se trouvent aujourd’hui en grande difficulté. On constate un nombre de dépôts de bilans ou de procédure de sauvegarde double, par rapport aux années précédentes.
« Avec la reconstruction progressive de nos ressources, nous communiquerons davantage sur chacune de ces marques, de façon à améliorer leur notoriété auprès du consommateur », Franck Pellé, Eberhardt
- Comment le secteur doit-il agir, pour rester agile ?
F.P. : Contrairement aux autres, ceux qui s’en sortent vont, par définition, récupérer un marché qui ne pourra pas continuer de descendre car le gros électroménager est mature, et nécessite le remplacement des appareils. Même si on privilégie aujourd’hui la réparation, on ne fait que retarder d’une année ou deux l’achat d’un nouvel appareil, désormais indispensable. Contrairement au marché du brun qui peut faire +50 lors d’une coupe du monde ou des J.O et -50 l’année suivante, le GEM varie sur des plages hors Covid de +5 à -5, voire de +10 à -10. Les perspectives d’une meilleure santé du marché existent. Mais entre-temps, il est nécessaire d’aligner les coûts de fonctionnement de chaque entreprise sur un chiffre d’affaires altéré, tout en conservant la qualité de ses prestations. Ceux qui auront adopté cette recette, se porteront bien dans les années à venir. Nous sommes et serons là pour les accompagner.
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